Carnets vaudois
Bolomey à Paris en 1974
Jean-Louis Bolomey, commissaire des Marchés Folkloriques
Arpentant d’un pas rapide les pavés de la Grenette, il ne passe pas inaperçu lors des Marchés Folks, avec son éternel tablier de vigneron et son canotier. Depuis que Jean-Louis Bolomey a pris en main la direction-animation de la Société de Développement de Vevey (SDV) il y a cinq ans, les manifestations organisées ont pris un essor inédit.
D’abord, il y a les yeux. D’un bleu intense, polaire, qui tranche avec la bouille joviale de quelqu’un à qui ont ne refuserait pas l’invitation spontanée de prendre un ptit coup de Saint Saph’ au carnotz’ . Puis viens la voix, chaude, mâtinée d’un accent étrange, que l’on suspecte anglo-saxon, mais qui trahit tout de même le mélange. Avec son phrasé caoutchouteux : « Nayyye pas peur, entre ! », il faut donc s’engouffrer dans le saint des saints : le carnotzet de mister Bolomey. On accède à l’antre en serpentant dans une bien étrange galerie, peuplée de Janus, les Cent-Suisses, le Page de 1955, Vigneron primé de 1999, Enfant-Cep… mannequins portant les costumes mythiques des précédentes Fêtes des Vignerons, de 1905 à 1999. En cheminant dans ce musée alternatif (l’officiel est dans les bâtiments du Musée historique), il lance à la cantonade : « Bon, je vais quand même essayer de te transformer en Vaudois ! » Puis, après avoir mieux jaugé l’intervieweur, il semble se raviser en optant pour un simple catéchisme préliminaire.
Au fil d’un entretien naturellement agrémenté de bon vin (régional oblige), il semblera se ressaisir de temps à autre en susurrant : « Surtout ça, tu ne le dis pas ! » Mais l’œil frise bien trop pour signifier le « off ».
Ce fou amoureux du canton de Vaud en a arpenté chaque recoin, et s’est pris à aimer cette région « malgré lui ». Il avoue qu’il ne connaît pas la Suisse. Vaud est son pays. Sa terre d’accueil. Il y est arrivé en 1977 à 27 ans pour travailler au noir comme professeur d’anglais dans une école privée à Montreux, comme beaucoup le faisaient à l’époque. Né en Angleterre dans le quartier de Wimbledon, il a fait des études de biologie et de littérature, deux matières qui lui permettront de varier les plaisirs dans l’enseignement. Mais sa vraie passion est l’histoire.
La question de ses origines éclaire sans doute un peu cette volonté farouche de s’intégrer, voire plus encore, d’épouser cette région. Ses parents d’origine polonaise, ukrainienne et autrichienne, nés à une époque où la Pologne était encore partitionnée, ont émigré en Angleterre après la Deuxième guerre mondiale. Ses amis disent de lui : « Plus vaudois que Jean-Louis, tu meurs ! » Même si on ne lui en demandait pas tant, c’est plus fort que lui, il faut qu’il embrasse, qu’il étreigne. Avec énergie. Jusqu’au nom d’empreint : Bolomey, symbole de son adoption en terres vaudoises. Que trouve-t-il de si fascinant à ce petit périmètre niché au milieu de l’Europe ? Le grand melting pot qu’est la Suisse. Ici, il se sent chez lui bien plus qu’ailleurs. Il a pu se retrouver et exprimer qui il est : un être aux facettes multiples et parfois paradoxales.
Depuis toujours Jean-Louis Bolomey est un gros lecteur. A sept ans, il déclare à sa mère, interloquée : « Je veux lire quatre livres par semaine, donc je n’aurai pas le temps de me marier et avoir des enfants ! » Son écrivain préféré est sans conteste Thomas Hardy (son école de langues en porte le nom), dont il a lu tous les livres à 15 ans. C’est également à cet âge qu’il a enfourché son vélo pour voir la tombe de son écrivain fétiche, en avalant 200 km d’une traite.
Féru d’histoire, Sieur Bolomey prend soudainement des airs d’Alain Décaux des estaminets. Il n’aime rien tant que « refaire le match ». En évoquant quelques personnages historiques sa voix s’emporte pour tailler un costard ou encenser. Mais Talleyrand demeure le personnage qui le fascine au plus haut point.
Petit dormeur, il dévore biographies et autobiographies. Et se semble se reconnaître dans les personnalités complexes aux destins tortueux. Mais il s’affiche volontiers libre penseur, sans religion aucune. Avec un esprit rationnel aussi évident que son canotier est vissé sur sa tête. Ce qui ne l’empêche pas d’être interpellé par les religions, au point d’avoir plus de 400 livres sur le sujet dans sa bibliothèque et de lire régulièrement la Bible. En bon polonais, il n’a pas échappé à une éducation catholique stricte qui laisse certainement des traces. Il ne peut s’empêcher, comme à confesse, d’avouer qu’à dix huit ans il voulait être curé.
Convaincu que l’on « ne vit qu’une fois et qu’il faut donner tout à cette vie ». Pour lui la spiritualité s’ancre simplement dans la vie, comme « descendre des Rochers-de-Naye, en train, par un bel après-midi d’automne ».
A la question de savoir quels sont ses vins préférés, la réponse fuse : « Les premiers Gamaret, et l’Humagne rouge ! Ah le Gamaret Meylan d’Ollon ! Depuis 15 ans, les vignerons vaudois ont fait des choses hallucinantes. »
Dans ce carnotzet chargé de souvenirs, de photos, d’objets hétéroclites, dont même une série d’une vingtaine de channes en étain, du plus petit au plus grand… du Valais. « Houlà ! Surtout ça tu ne le dis pas ! », souffle-t-il.
Laurent Montbuleau
Rédacteur en chef